"Chut... Petit papillon"
Auteur/auteur: Seignemartin Gabrielle (France/Frankrijk)
"Sans mot"
« Lenfance est une phase difficile. Un choc durant cette période pourrait être à lorigine des problèmes de votre fille ». Voilà ce quavait dit le psychologue. Il avait expliqué à la maman de Lili quelles pouvaient être les origines de la maladie. Un bon travail, très précis. Les « solutions » proposées se résumaient à voir et revoir la pauvre petite au cours de séances stériles de tout résultat. Lili avait sept ans. Elle ne parlait pas. Elle ne voulait pas. Elle préférait rester dans son monde, un monde réduit au silence.
Elle allait à lécole primaire. Les autres enfants la rejetaient
non, plutôt, ils lignoraient. Et cétait pire. La petite se réfugiait dans un autre univers, dans des rêves où tout semblait différent. Elle simaginait en train de chanter au milieu dun chur denfants ou encore en train de cueillir des jonquilles, les offrir à sa mère en rentrant de lécole. Mais quelque soit cet univers, au moment où un sentiment de joie semparait delle, le monde qui lenveloppait basculait, la lumière laissait place au vide. Elle ouvrait les yeux et ne voyait que la lueur dune étoile
Peut-être était-elle déjà éteinte, que lon apercevait seulement sa lumière parce quelle se situait très loin. Peut-être saccrochait-elle au rayon dun astre du passé. Un mirage.
Lili apprit à écrire avant de navoir dit quoi que ce soit depuis le jour de pluie, depuis ce jour dont le gris sétait petit à petit empreinté de noir. Le premier mot quelle inscrivit fut «oubli ». Elle le traça à lintérieur de son avant bras. Les lettres se confondaient avec le trait de ses veines. Sa maman vit cette inscription le soir, en la lavant. Sur les joues de la femme coulaient des larmes. La petite regardait cette pluie dessiner son passage sur la peau. La maman continua de soccuper de son enfant, la sécha, et la déposa sur son lit. Puis sortit de la chambre, ferma doucement la porte et sécroula, la peau de son dos en contact avec le bois de la porte, les pieds nus sur le carrelage froid. « Lili, pourquoi toi
pourquoi ton
» Elle sombra dans un sommeil lourd. Le matin, la petite était brûlante de fièvre. Pendant la nuit, elle sétait levée et installée, blottie dos à la porte, contre sa mère. Le bois les séparait. La femme lavait retrouvée étalée sur le sol en parquet de sa chambre. Vidée de toutes émotions, elle lavait ramassée, déposée sur des couvertures. Le médecin était passé dans la matinée. Il avait prescrit des médicaments contre la fièvre pour la petite et des antidépresseurs pour la mère. Elle nen voulait pas. Elle nallait pas faire comme si ces capsules pouvaient la rendre heureuse comme si elles allaient régler ses problèmes. Dans son esprit, ces gélules la narguaient : « Tu veux te soulager du monde ? Avale-nous, tout ira bien
» Elle sy refusait. Elle savait que si elle commençait, elle ne sen passerait plus, elle finirait comme la première fois
Dans sa fièvre, Lili délirait
Elle voyait autour delle des ombres portant des capes et une sorte de canne à la main. Ces ombres lengloutissaient. Ces ombres la couvraient dans des draps de silence, dans labîme dun jardin aux arcs-en-ciel en noir et tonalités de gris.
« Maman » avait murmuré la petite avec une voix éraillée.
Maman ne lavait pas entendue, elle était ailleurs
Sur le rebord du précipice de son mal. Sur le fil qui liait deux terre, en équilibre, elle ne tremblait même plus. Voilà des mois quelle stagnait. Les tempêtes sabattant sur elle, se faisaient caresses dans le désert de loubli. Peut-être senvolerait-elle dans un tourbillon, peut-être se laisserait-elle tomber. Sous le vide de ses mots coulait une rivière. En un ultime plongeon, elle sentirait leau déferler sur sa vie. Il suffisait quelle se laisse aller, alors elle ne ferait plus quun avec le vent.
« Maman »
Maman nentendait rien. Elle ne savait plus. Lespoir sétait éteint en même temps quun soleil, il y a quelques années.
« Maman » cria la petite voix.
Une minuscule étoile avait besoin delle. Maman se leva, se précipita dans la chambre.
« Maman »
Elle prit la petite dans ses bras.
«_ Ma petite fée, ne pleure pas, ça va aller
_Lombre veut me manger »
La femme serra son enfant. Ce que disait sa fille la bouleversait mais elle parlait
Enfin, elle reparlait.
"La fourmilière"
Lili voyait des paroles s'écouler de ses lèvres depuis bientôt deux ans. Son cur, encore embrumé, repeuplait petit à petit son jardin de couleurs. Hier, un bourgeon était né sur larbre.
«_ Maman, écoute ! Jarrive à le dire : Un chasseur sachant chasser sans son chien est un bon chasseur.
_Cest bien ma puce »
La mère se réchauffait sous les rayons du renouveau, dun printemps qui suivait un si long hiver, qui avait lui-même succédé à ce jour de pluie.
« _Crois-tu quun jour je pourrais voler ?
_ Ne sois pas presser ma chérie.
_Les oiseaux sont si beaux. Il sourient aux nuages, ils dansent avec le vent.
_Toi, ma chérie, tu es un papillon, tu repeuples mes sourires de tes ailes délicates et colorée »
Lili allait toujours à lécole, elle navait pas beaucoup damis, mais on lui disait bonjour le matin, et sa voisine de table, Sarah, lui souriait et linvitait parfois à jouer à la marelle.
« Maman, aujourdhui, je suis allée jusquau ciel, puis, jai raté une case et je suis tombée. Le frère de Sarah, Théo ma aidé à me relever. Tu sais, celui qui a des yeux où lon aimerait se baigner .»
Maman aimait voir sa fille sentourer de personnes. Elle samusait de voir son papillon aimer le bruit. Lili grandissait et rentrait maintenant seule de lécole. Sarah et Théo empruntait le même chemin quelle. Maman se faisait un sang dencre, mais avait confiance en sa fille. Lili rentrait chez elle en courant et jouant avec ses amis.
Elle entendit une sirène dans la rue. Peut-être la police chez le voisin, ce ne serait pas la première fois quil se plaignait du bruit.
Ils avançaient, le calme gagnait le petit groupe. Sarah bifurqua à langle de la rue prenant la direction de sa maison. Théo, tous les jours, attendait, caché dans les buissons, que la petite fée soit rentré chez elle. Lili sur le trottoir, approchait de sa demeure. Elle vit soudain un camion rouge dans la cour, une agitation grandissante. Elle avait limpression dêtre dans une fourmilière dont la reine mourrait. Celle-ci sortait de la maison, portée par ses serviteurs.
«Maman » La petite laissa tombé son cartable. Elle se précipita sur le groupe de personnes entourant un brancard. Une main dépassait mollement dune couverture argentée. La petite lattrapa. Les pompier saperçurent de la présence de lenfant. Un jeune homme la prit dans ses bras et la porta à lavant du camion, pendant que sa maman était installée derrière.
«_Que fais-tu Pierre ? On a pas le droit demmener des personnes à lavant, et tu le sais, dit le conducteur.
_On ne peut pas la laisser seule ici. »
Le papillon reposait sur son épaule.
« Elle est morte ? Elle est morte ? La nuit la emportée ? » La petite se mit à marmonner : « Une faucheuse sachant faucher sans sa faux est une bonne faucheuse » puis elle éclata en sanglot et plongea ensuite dans un profond mutisme.
Le jeune pompier regarda la petite dans les yeux. Il eut soudain envie de se révolter contre le monde. La vie était trop injuste, trop cruelle. Cette enfant, il la connaissait. Il y a cinq ans, alors quil nétait qu apprenti, il l'avait vu le jour gris.
La maman était déjà très loin, un arrêt. Entre la vie et la mort ou plutôt plus près de la mort que de la vie. Puis, dans linconscient de son être, elle se rappela quelle avait une fée chez elle, quelle navait pas besoin daller voir les anges. Reprise. Respiration. À larrière du véhicule, le personnel semblait ébahi. Loxygène entrait et sortait de nouveau dans les poumons de la femme, fleuve aérien de vie. On lui mit un masque pour facilité cet échange avec le monde extérieur.
La petite fille entendit.
Elle pleurait.
« Petite puce, tu vas la revoir ta maman ».
"Je t'ai dans le sang"
Lili est belle. Lili est sur le point de devenir femme.
Il y a eu ce jour gris qui avait tout fait sécrouler, puis le jour noir
Lili avait beaucoup pleuré, mais elle savait. Sa mère lavait prévenue
Elle avait laissé son amour dans une larme quelle ne versa pas, pour que cette femme qui lavait portée en elle, sen aille sans souffrir, sans briser ses remords sur le fil dune lame de rasoir
La reine était morte.
Lili a dix-sept ans
Voilà déjà huit mois quelle a dit au revoir à cette femme si insignifiante aux yeux du monde et si importante aux siens
Elle avait fait une demande démancipation. Sa mère la lui avait donnée la mort au bout des doigts, dune signature tremblante, les yeux exprimant tout le regret et la désolation du monde
Lili nhabite plus la grande maison mais un appartement égaré dans la cité
Elle a rompu tous les liens avec son passé
_Dépêche-toi David, tu te débrouilles, tu me ramènes cette ordure, quil me rende mon fric !
Lordre avait cinglé, puissant et impossible à contester
David opéra. Lili avait bien changé. Au départ, calme et discrète, elle rasait les murs. Maintenant, elle se promène un rasoir à la main.
David est un grand brun, les yeux noirs et tristes avec un sourire doux.
_Magne toi ! Je men fous de ce quelle va te faire. Tu dois payer tes dettes.
David exige dune voix ou aucune faiblesse na le droit de simmiscer.
_Mais je peux pas ! Répond Pedro dune voix faible.
_Ecoute, tu tarranges avec elle !
David naimait pas ça. Mais il aimait Lili.
_Le voilà Lili !
_Je tai déjà dit de ne plus mappeler comme ça !
_Oui, Naja
Naja tourne, zigzague autour de sa proie.
_Alors comme ça, tu fuis ? Aurais-tu peur de moi ?
Naja regarde Pedro dans les yeux, allume une cigarette et lui crache la fumée à la figure. Elle prend son temps, samuse un peu, arrive à la fin, une dernière bouffée puis elle écrase son mégot sur le pull du jeune homme tétanisé
_Tu sais, largent, va falloir que tu penses à me le rendre. Tu sais, six cent euros,ça tombe pas du ciel.
Elle joue avec son briquet.
_Tiens il pleut
Tas de la chance, jaime bien quand il pleut
Casse-toi, je veux mon argent dans une semaine. Je suis gentille, nest-ce pas ?
Elle réfléchit.
_Oui, je suis gentille.
Dun mouvement sec, elle laisse tomber sa tête sur le côté, ses longs cheveux noirs ruisselants. Elle le pousse dune main. Il sécrase sur le sol. Elle tourne les talons et senfonce dans lobscurité des ruelles. David reste sur place. Il soccupe toujours des marchandages. Il rappelle la date, lance un regard froid, dénué dexpression et sen va.
Naja senfuit dans le méandre de ruelles
Elle aime la pluie, mais seulement quand elle est seule. Sinon, un sentiment de vulnérabilité lui comprime la poitrine.
Elle grimpe sur un mur, saccroche à une terrasse, gravit la gouttière et sinstalle sur le toit. Elle relâche sa nuque, son visage bascule profitant de la pluie. Son maquillage dégouline.
Tout à coup elle perçoit une présence derrière elle. Elle se retourne avec rapidité et effleure de sa lame la chair. Elle ouvre les yeux. David la tient par les poignets et tente de la raisonner.
_Arrête ! Calme-toi !
_Que fais-tu là ! Je vais te tuer ! Je vais te tuer si tu tapproches de moi ! Lâche-moi !
Sur la joue de David, une longue balafre
le sang coule, ses cheveux sentrecroisent sur sa peau mouillée et sa blessure.
_Je te dis de me laisser !
Elle le pousse brutalement. Il tape la rambarde et se cogne la tête sur la pierre.
_Non ! Ne meurs pas ! Non, stop ! Je veux pas que tu meurs !
Elle saccroupie auprès de son ami. Sa tête saigne légèrement. Retour au calme, à cette lucidité qui la rend parfois si froide et qui effraie toute la cité.
Elle sent son souffle. Elle appelle son voisin. Il est médecin et lui a souvent épargné des séjours hospitaliers.
David est déposé sur le lit de Naja. Il dort. Yann, le médecin a fait promettre à la jeune fille de le laisser se reposer trois jours durant.
Il pleut toujours dehors.
_ah
ma tête
_Je tai poussé et je tai fait mal. En plus, je tai entaillé la joue
Pars loin de moi, très vite.
_Mais
Pourquoi ?
_Je tai dit de partir, cest tout. Ne cherche pas à comprendre.
David se lève et se place derrière Naja. Ils se ressemblent, même allure, même regard
Elle se retourne avec précipitation.
David sexclame :
_Tu ne me fais pas confiance ? Pourquoi ? Arrête de croire que tout tourne autour de toi, ce nest pas toi qui contrôle le monde, ce nest pas de ta faute si il sécroule !
_Non
non ! Tais-toi !
_Je ne me tairai pas, il est temps que tu comprennes que tu nes pas la seule à être forte !
_Mais tu ne les pas ! Tu nes quun pantin !
Elle le pousse violemment contre le mur. Chacun de ses gestes est précis. Voilà bientôt cinq ans quelle pratique la lutte.
_Tu crois ça ?
Il se dégage et la plaque à son tour contre le crépit.
_Non, arrête, va-t-en ! Loin de moi !
Elle crie des sanglots dans la voix. Elle reprend :
_Si tu restes, tu vas mourir !
Il la maintient. Il ne lâche pas. Il la regarde dans les yeux. Il ne la laissera pas.
Elle sécroule dans ses bras. Les larmes ruissellent, noires
Le maquillage crée un long fleuve sur ses joues.
Elle reprend secouée par de violents sanglots :
_Que veux-tu ? Tu veux que je te dise que je suis folle. Que je déteste tout le monde parce que si jaime une personne, elle meurt ! Tu veux que je te dise que ma mère est décédée il y a huit mois, que ses yeux avaient le goût du vide quand elle ma quittée ? Et puis que mon père sest craché dans un accident de voiture, que jétais à larrière du véhicule et que jai survécu je ne sais pas pourquoi ? Je pourrai aussi te murmurer que jai passé des années sans dire un mot, que je me suis sacrifiée à lâge de dix ans. Je pourrai te raconter que je frappe souvent dans les murs pour me détruire les articulations. Et que si mes yeux sont toujours maquillés, cest pour cacher les cernes
Tu veux que je te dise que je suis une souillure, une erreur ? Tu veux que je tavoue que je tai dans le sang ? Je vais simplement te demander de partir
Pars !
_Non, je reste
_Pourquoi ?
_Mais merde ! Je tai dans la peau !
Naja prend le rasoir et tente de se trancher les veines. Elle ne veut pas que David meurt, pas lui alors ce sera elle.
Le sang coule mais la coupure nest pas assez profonde
Elle amorce un geste pour finir de se labourer.
David lui attrape le poignet.
_Je ten supplie, laisse-moi finir ce que jai commencé ! Jai mal ! Je souffre ! Je te déteste ! Laisse-moi !
Le sang a créé une petite flaque sur le sol nu de la pièce. Des gouttes éparpillées tout autour de ce petit lac dénotent avec le gris pâle.
Elle sévanouit. Il la prend dans ses bras. Le portable na plus de batterie. Le voisin nest pas là. Il descend les escaliers à toute vitesse tandis quil la sent perdre vie dans ses bras.
Dans sa tête une phrase en boucle : « je taime sale folle »
Il arrive enfin à un croisement fréquenté. Les gens se précipitent. Sa tête tourne. Il naurait pas du se lever. Le néant.
Naja est dans un autre monde. Sa tête est très lourde. Elle est dehors. Le parfum de la pluie arrive à ses narines. Elle penche alors la tête en arrière comme à son habitude. Mais sétalent sur son visage des gouttes rouge cramoisi. Puis apparaît un arc-en-ciel en rouge et noir. Elle a toujours aimé les arc-en-ciel, comme sa mère. Arrive ensuite une nuée de serpents qui senroulent, se crochètent autour delle. Ils ne veulent pas létouffer. Elle les voit se fondre en tatouages mouvant sur sa peau.
Et puis, tout à coup, elle se rappelle David, sa mère, son père
Ils auraient voulu quelle vive. Elle vient de comprendre que ses parents ne doivent pas avoir laissé leur vie pour rien. Laverse sanguine se transforme en neige dun blanc immaculé. Des libellules se libèrent de ses cheveux, les serpent se transforment en un rosier grimpant.
David endormi rêve dune montagne aux couleurs mordorées où se promène le murmure dune rivière qui accroche à ses coudes des fleurs
et dans sa chevelure naît un arc-en-ciel rouge et noir.
La pluie ne tardera pas à se taire et il disparaîtra. La pluie
oui
la pluie sur un visage quil aime
Il sen souvient
Sa vue shabitue à la lumière. Il croît en un rêve. Lili est là, les cheveux détachés, une fleur sur loreille et des étoiles dans les yeux
Il croît en un rêve
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