L'arrestation
Auteur: Nanitelamio Kangou (Congo Brazzaville)
Titre de la nouvelle: L'arrestation
Chaque soir, j'allais passer mon temps chez Christian, mon voisin et ami.
J'y restais quelquefois même jusqu'à tard dans la soirée, comme nous regardions la télévision et, d'ailleurs, nos maisons étaient voisines.
Tard une nuit, je rentrais chez moi quand je rencontrai brusquement, au croisement du chemin, une patrouille de police qui convoyait une file de captifs.
Soudain j'eus peur.
C'était la première fois que j'allais être arrêté, et puis, je n'avais aucune pièce d'identité avec moi; jamais je ne les portais sur moi; mais pourquoi devais-je tout le temps les porter sur moi? N'étais-je pas natif du pays? Le pays était-il en situation de crise? La guerre n'était-elle pas finie?
" Bonsoir, c'est la police, me dit brusquement un agent de police venu à ma rencontre; puis-je voir vos papiers?
_Je ne les ai pas avec moi, lui dis-je, d'ailleurs, je vis non loin d'ici.
_Alors intégrez le rang, me dit-il simplement.
_Mais..., protestai-je.
_Vous parlez trop français, me dit brusquement son collègue qui nous rejoignait, faites ce qu'il dit".
Il était jeune, petit et mince, il avait l'air soldatesque; il portait un treillis qui lui moulait le corps; il était leur chef et il se faisait appeler "sergent".
" Quels cons!" Me dis-je furieusement en rejoignant le rang sur lequel je me penchai pour espérer y reconnaître un ami mais en vain.
Nous étions six; eux aussi.
Deux d'entre eux armés nous suivaient; deux autres nous côtoyaient et les deux derniers, leur chef et l'éclaireur, nous précédaient.
" Tenez-vous par derrière," nous cria le guide.
Puis il ordonna de partir.
Il était jeune, grand et mince et avait le teint clair; il portait lui aussi un uniforme; il nous reprochait de nous moquer des soldats qu'il trouvait aussi élégants et aussi considérables que nous, surtout à une adolescente qui me suivait, d'être sortie avec un homme qui s'étant enfui, l'abandonnait entre leurs mains; et malgré l'interdiction de son supérieur, il se plaisait à flageller mes amis avec son ceinturon, surtout celui qui parlait leur patois, espérant ainsi être relâché.
Soudain j'eus peur.
N'allaient-ils pas nous traîner dans des seringues contaminées et l'urine, comme je connaissais leur mauvaise foi?
Mais je me calmai, croyant qu'ils allaient enfin nous relâcher, comme rien ne nous était reproché.
Nous prîmes un chemin silencieux et sombre, jonché d'ordures et de vidanges fécales puis bientôt nous rencontrâmes soudain un homme jeune, grand et mince; il était mal vêtu et était originaire de l'autre rive du Congo; il portait sur sa tête un grand plat garni de cacahouètes qu'il vendait à la sauvette, sur lequel nos bourreaux se ruèrent aussitôt.
"Prenez le mur puis tournez-vous, nous ordonna brusquement le guide, ce sont leurs affaires et non pas les vôtres."
Puis nous repartîmes puis bientôt nous croisâmes soudain une coquette jeune femme que le guide plaça devant moi et qu'il me demanda de tenir par derrière.
"Non sinon je t'enfermerai en arrivant au poste, s'opposa leur chef, me menaçant; viens avec moi."
Et en contournant la grand-route, nous arrivâmes bientôt au poste de sécurité public qui était un immense complexe et qui, avant la guerre, servait de caisse de sécurité sociale, lequel quatre agents armés gardaient, assis à l'entrée, sur la grand-rue.
Nous eûmes accès au vaste hall dévasté, éclairé à la bougie et garni de banquettes sur lesquelles leur chef nous demanda de nous asseoir, en s'installant lourdement lui-même à un bureau placé devant nous, ayant ôté son béret; puis ayant ouvert un registre et s'étant emparé d'un papier, il se mit à relever nos identités.
"Quelqu'un aurait-il trois mille cinq cents francs?" Nous demanda-t-il.
Personne n'eut la somme mais certains qui eurent moins le versèrent et partirent.
"Otez vos ceintures et déclarez tout ce que vous portez sur vous", demanda-t-il aux autres qu'il fit enfermer ensuite.
Mais l'un d'entre nous s'opposa.
Il était jeune, grand et fort et avait le teint éclairé par des usages pharmaceutiques; il était vêtu avec soin et venait de l'autre côté du fleuve Congo; il portait sur lui des amulettes et des papiers d'un soldat du pays, ce qui nous plongea tous dans un grand étonnement.
"Je vous dis que j'ai combattu pendant la guerre, expliqua-t-il aux policiers, permettez que j'appelle le général Alima qui était mon chef de guerre."
Nous n'étions plus que trois à aller derrière les barreaux constitués d'une petite pièce sentant la cigarette et l'urine sur laquelle, d'ailleurs, je marchai tristement par inadvertance, ouverte sur le hall et garnie de lavabos sur lesquels deux jeunes détenus originaires de l'autre rive du Congo, couchaient.
Soudain leur supérieur apparut et nous dit:"Je pars à l'instant; auriez-vous un dernier mot à dire?"
Personne ne répondit puis il s'en alla avec la coquette.
Puis un permanent arriva bientôt et nous demanda:" Combien êtes-vous?
_Trois," répondit un ami portant à sa main des gâteaux achetés à son arrestation, lesquels il lui ravit brusquement; il en avala un et dit en nous demandant de nous souvenir de lui:" Vous êtes libres."
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